Beauté, mon beau souci, de qui l’âme incertaine […]
François de Malherbe
Si mettre en scène est un regard, monter est un battement de cœur. Prévoir est le propre des deux ; mais ce que l’un cherche à prévoir dans l’espace, l’autre le cherche dans le temps. Supposons que vous aperceviez dans la rue une jeune fille qui vous plaise. Vous hésitez à la suivre. Un quart de seconde. Comment rendre cette hésitation ? A la question : « Comment l’accoster ? » répondra la mise en scène. Mais pour rendre explicite cette autre question : « Vais-je l’aimer ? », force vous est d’accorder de l’importance au quart de seconde pendant lequel elles naissent toutes deux. […] On voit par cet exemple que parler mise en scène c’est automatiquement parler encore et déjà du montage. Quand les effets de montage l’emporteront en efficacité sur les effets de mise en scène, la beauté de celle-ci s’en trouvera doublée, de son charme l’imprévu dévoilant les secrets par une opération analogue à celle qui consiste dans les mathématiques à mettre une inconnue en évidence. Qui cède à l’attraction du montage cède aussi à la tentation du plan court. Comment ? En faisant du regard la pièce maîtresse de son jeu. Raccorder sur un regard, c’est presque la définition du montage, son ambition suprême en même temps que son assujettissement à la mise en scène. C’est en effet faire ressortir l’âme sous l’esprit, la passion derrière la machination, faire prévaloir le cœur sur l’intelligence en détruisant la notion d’espace au profit de celle du temps.
Jean-Luc Godard
Montage mon beau souci