Sentir ainsi la vie toute nue

05082015
Lumière, cadre, décor, personnages, dialogues
Mer déchaînée, vent tiède
Sud-Ouest
Vacances
Drapeau Rouge
Qu’est-ce qu’elle peut bien lui raconter ?
Je ne sais plus.

J’ai regardé vers la vallée, là, où je savais d’autres hommes, où je devinais le miracle des corps et des regards. Comment te dire cette substance poudrée, cette lumière pondéreuse qui ensommeillait de bleu le plat de la vallée ? Je t’ai dit il faisait chaud ; un vent tiède à l’envers frais comme une soie, vous enivrait, vous faisait passer dans l’âme tous les été d’autrefois, ceux où j’étais enfant, grattant du gravier au pied des massifs d’hortensias dans le jardin de Bayonne, ceux où j’étais jeune homme, la gorge sèche d’amour, absolument corps et âme, enseveli dans une aventure (je mets dans ce mot un sérieux terrible). Dans le fond de ma chambre, un quatuor jouait doucement. […] Je ne sais si des vivants — j’entends non malades, car maintenant, je ne suis que demi-vivant — peuvent sentir ainsi la vie toute nue, toute palpitante si tu veux, sans qu’il soit besoin d’action ou d’amour pour le préciser, pour le manifester. Un fauteuil, une fenêtre, une vallée, de la musique, et c’était le bonheur, la vie m’entrait partout, sans que je fisse un mouvement : mes sens immobiles me suffisaient. Et il semble qu’à se tenir tapis, par force, à cause, de la maladie — ils effarouchaient moins la vie et qu’elle venait à eux en confiance, avec toutes ses traînes, sa pompe, la beauté intime de son essence, peut-être invisible pour ceux moins frêles, plus forts, qui font un mouvement pour le saisir. p.187
Roland Barthes — Lettres à Philippe Rebeyrol, 22 mai 1942

Roland Barthes
Tiphaine Samoyault
Editions du Seuil, an 2015

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