Ce détail du baromètre révèle quelque chose de la relation très spéciale que Barthes entretient avec Flaubert. Il n’est pas le classique dont on s’empare, comme Racine ou Balzac, ni le moderne dont on interroge l’expérimentation ; il est un compagnon, comme l’est Proust, une présence sur laquelle il peut toujours compter. Barthes le note sur une fiche : « Manière dont je me sers de Flaubert. Je n’écris pas sur lui mais je m’en sers tout le temps. » Il a avec lui un rapport fraternel : il se reconnaît dans ses découragements (la « marinade »), dans sa façon de rendre inséparable la vie et l’écriture, dans son obstination. Cette proximité le conduit à porter une attention très matérielle et concrète à son œuvre. Il s’intéresse aux papiers que Flaubert utilise, à ses ratures, à ses différents types de correction (en anticipant sur l’inlassable travail génétique entrepris depuis cette œuvre). En reversant les mérites de la poésie sur la prose Flaubert a permis de sortir définitivement la littérature du carcan de la rhétorique pour la faire entrer dans un mouvement infini, dans l’incertain. Cette reconnaissance a des implications très profondes pour Barthes et explique l’accompagnement étroit, continu, et là encore fraternel, de Bouvard et Pécuchet pendant les dix dernières années de son existence. On a pu y lire un rapport ambigu et fasciné de Barthes à la bêtise, et peut-être même à sa propre bêtise ; il est sans doute plus juste d’y voir le livre qui incarne pour lui l’exemplairement — car avec distance — le programme du neutre : Bouvard et Pécuchet est pour Barthes un livre constamment incertain, le langage n’y présente aucune garantie. Aucun énoncé ne prévaut, « il n’y a pas de langage-maître, pas de langage qui en coiffe un autre ». Flaubert est ainsi plus proche de sa pensée de l’écriture et du style que n’importe lequel de ses contemporains. Il illustre une discordance des temps que viens réparer fantasmatiquement le vertige des dates concomitantes. « J’étais en classe de troisième quand la nièce de Flaubert est morte (3 février 1931 à Antibes) », note Barthes dans son journal.
Il ne pourrait mieux exprimer le désir de le rejoindre. p. 530-531
novembre 2024 L M M J V S D « Déc 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 -
Articles récents
Archives
- décembre 2020
- juin 2019
- mai 2019
- avril 2019
- mars 2019
- février 2019
- janvier 2019
- décembre 2018
- novembre 2018
- octobre 2018
- septembre 2018
- août 2018
- juillet 2018
- juin 2018
- mai 2018
- avril 2018
- mars 2018
- février 2018
- janvier 2018
- décembre 2017
- novembre 2017
- octobre 2017
- septembre 2017
- août 2017
- juillet 2017
- juin 2017
- mai 2017
- avril 2017
- mars 2017
- février 2017
- janvier 2017
- décembre 2016
- novembre 2016
- octobre 2016
- septembre 2016
- août 2016
- juillet 2016
- juin 2016
- mai 2016
- avril 2016
- mars 2016
- février 2016
- janvier 2016
- décembre 2015
- novembre 2015
- octobre 2015
- septembre 2015
- août 2015
- juillet 2015
- juin 2015
- mai 2015
- avril 2015
- mars 2015
- février 2015
- janvier 2015
- décembre 2014
- novembre 2014
- octobre 2014
- septembre 2014
- août 2014
- juillet 2014
- juin 2014
- mai 2014
- avril 2014
- mars 2014
- février 2014
- janvier 2014
- décembre 2013
- novembre 2013
- octobre 2013
- septembre 2013
- août 2013
- juillet 2013
- juin 2013
- mai 2013
- avril 2013
- mars 2013
- février 2013
- janvier 2013
- décembre 2012
- novembre 2012
- octobre 2012
- septembre 2012
- août 2012
- juillet 2012
- juillet 2011
- juillet 2010
- juillet 2009
- juillet 2008
Catégories
Liens