Il n’y a pas d’essai qui ne soit en quelque sorte l’expérience de sa propre aventure, qui ne soit en même temps qu’une recherche une investigation ou une enquête à propos de ou à l’occasion, l’occasion d’une invention, invention de sa propre méthode et de son propre parcours. Il n’y a pas d’essai qui n’inclue en lui le vagabondage de la pensée, qui ne se risque aux oscillations périlleuses et aux rapprochements déconcertants, il n’y a pas d’essai qui ne soit accompagné de sa propre incertitude et de la possibilité d’une embardée ou d’une dérive – ce qu’ailleurs, on appelle digression, et qui n’est jamais que le régime premier et dernier de la pensée – une fois admis le principe que l’exercice libre de la pensée réclame parfois que celle-ci, la pensée, » se libère » de son objet, ou reconnaisse qu’il puisse être contourné, oublié, négligé pour un autre, plus attractif ou plus énigmatique.
Alain Ménil, « Entre utopie et hérésie, quelques remarques à propos de la notion d’essai », L’essai et le cinéma, 2004, p.101.
On ne peut cependant assigner un domaine particulier à l’essai. Au lieu de produire des résultats scientifiques ou de créer de l’art, ses efforts même reflètent le loisir propre à l’enfance, qui n’a aucun scrupule à s’enflammer pour ce que les autres ont fait avant elle. Il réfléchit sur ce qu’il aime et ce qu’il hait, au lieu de présenter l’esprit comme une création ex nihilo, sur le modèle de la morale du travail illimité. Le bonheur et le jeu lui sont essentiels.
Théodor Adorno, « L’essai comme forme », Notes sur la littérature, Flammarion, Paris, 1984, Collection Champs essais, 2009, p.6.
Car il s’agit de s’aventurer et non pas d’apprendre plus ou moins bien ou plus ou moins vite.
Jacques Rancière, Le maître ignorant, Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Fayard 1987, réédition 10/18 Poche, 2004, p.48.
L’essai déploie, contre ces règles, une forme ouverte de la pensée imaginative où jamais n’advient la » totalité » en tant que telle. Comme dans l’image dialectique chez Benjamin, » la discontinuité est essentielle à l’essai [qui] fait toujours son affaire d’un conflit immobilisé « .
T.W. Adorno, « L’essai comme forme » (1954-1958), trad. S. Muller, Notes sur la littérature, Paris, Flammarion, 1984 (éd.2009), p.27.
…, Ulrich ne se la posait pas seulement sous la forme de pressentiments, mais aussi, tout à fait prosaïquement, sous la forme suivante : un homme qui cherche la vérité se fait savant ; un homme qui veut laisser sa subjectivité s’épanouir devient, peut-être écrivain, mais que doit faire un homme qui cherche quelque chose entre deux ?
Robert Musil, L’homme sans qualités, Tome 1, Éditions du Seuil, 1956 pour la traduction française, pp.304-305.