En Boucle


oooPresque accessible. Tout, toujours, est dans ce presque. Si on parcourait ces cinquante mètres qui vous séparent de la fille nue à la rivière sans se soucier de rien, et que la fille nue soit contente de vous voir, pas mal de problèmes de la planète seraient simplifiées. Mais ça ne marche pas comme ça. Jamais. Ces cinquante derniers mètres sont d’une inconcevable complication, au départ, à l’arrivée, au milieu. Rien ne va.
oooCamille passa devant lui, une serviette autour des épaules. Soliman, assis en tailleur au sol, serra ses bras autour de ses genoux.
oooPresque accessible. Les cinquante derniers mètres les plus compliqués du monde. p.157

Fred Vargas
L’homme à l’envers
Éditions Viviane Hamy, an 1999

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Nouveau cycle


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Intuition, décision, déterminisme ou lâcher prise ?

Le kairos est le temps de l’occasion opportune. Il qualifie un moment.

Dans le langage courant, on parlerait de point de basculement décisif, avec une notion d’un avant et d’un après au sens de Jankélévitch (voir plus bas). Le kairos est donc « l’instant T » de l’opportunité : avant est trop tôt, et après trop tard.

In fine, l’expression « instant d’inflexion » semble convenir : « Maintenant est le bon moment pour agir. »

Pour le pseudo-Aristote, « Le mélancolique est l’homme du kairos, de la circonstance. »

Le kairos, une dimension du temps n’ayant rien à voir avec la notion linéaire de chronos (temps physique), pourrait être considéré comme une autre dimension du temps créant de la profondeur dans l’instant. Une porte sur une autre perception de l’univers, de l’événement, de soi. Une notion immatérielle du temps mesurée non pas par la montre, mais par le ressenti.

Le dieu grec Kairos est représenté par un jeune homme qui ne porte qu’une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe à notre proximité, il y a trois possibilités :

– on ne le voit pas ;
– on le voit et on ne fait rien ;
– au moment où il passe, on tend la main, on « saisit l’occasion aux cheveux » (en grec ancien καιρὸν ἁρπάζειν) et on saisit ainsi l’opportunité.

Kairos a donné en latin opportunitas (opportunité, saisir l’occasion).

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Arcane Majeur XXI renversée

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Mais il faut savoir chanter — Rien n’est plus difficile que la surprise

L’élément dominant du chant, c’est la surprise, et rien n’est plus difficile que la surprise, que la prise qui surprend. Quand cela advient, c’est comme un miracle, et c’est un miracle parce que ça ne vient de rien, d’aucune intention, d’aucune instance, d’aucun sommet, d’aucun domaine réservé.
oooIl y aurait encore tant à dire, je le ressens, mais je sais aussi que je dois finir, et je le ferai donc par l’un de ces miracles : des vers que j’ai retrouvés récemment, que j’avais notés sur un bout de papier placé et oublié dans un livre n’ayant rien à voir avec celui d’où ils provenaient. Ces vers sont de Wallace Stevens, ils figurent dans un poème intitulé An Ordinary Evening in New Heaven et ils donnent une définition de ce qu’est le réel. Cette définition est l’une des plus subtiles que je connaisse, et d’abord parce qu’elle est dénuée de toute brutalité : « It may be a shade taht traverses / A dust, a force that traverses a shade. » Une ombre qui traverse une poussière, une force qui traverse une ombre.
oooCes vers, je ne les commenterai pas. Je dirai simplement qu’avec l’ombre, la poussière et la force, nous avons peut-être, sous d’autres noms, plus simples et plus directs, les éléments du poème — son écho, son chant, son action. p.73

jean-christophe bailly
l’élargissement du poème
« Un chant est-il encore possible ? »
Christian Bourgois éditeur, an 2015

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déborder toujours


oooIl serait bon, et peut-être même doux, par-delà les significations brandies et la violence gestuelle des preuves, d’étudier les liens qu’il y a entre cette proximité qu’établit l’anecdote et la voyance que (se) propose la fiction. Nous serions là alors tout à fait dans la fabrique, et dans les plis et replis de la littérature, là où elle est comme une écope, comme un art d’écoper le réel, puisqu’il est de l’essence de celui-ci de déborder toujours. Une littérature — et même une poésie — privées de toute anecdote, seraient, il me semble, illisibles — non parce que l’anecdote est ou serait « facile », mais parce qu’au contraire, comme le dit si bien et si calmement Benjamin, elle rend « spatialement proches » les choses du réel débordant . p.23

jean-christophe bailly
l’élargissement du poème
« Accident dans la méthode »
Christian Bourgois éditeur, an 2015

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latence de l’indice


oooCette légalité non humaine, que les religions avaient capturée avec un mélange de ruse et de candeur, elle est aujourd’hui comme flottante. Mais c’est du sein de ce flottement même que les choses nous envoient des échos, et je pense au régime de l’indice, qui se pose dans la parution comme un déplacement de la signifiance vers elle-même. Lorsqu’un objet devient indice, il ne le peut qu’en échappant, d’une part, au régime plat de la signifiance et, d’autre part, au régime de signification qui lui est assigné. En devenant indice, l’objet s’extrait tout à la fois de son sommeil et de son éveil aux ordres : il se réveille ailleurs, dans un autre régime, où la signifiance est comme montée d’un cran. Tout en basculant vers le sens, elle demeure signifiance, rayonnement du « pas encore » en « peut-être » qui redouble et surhausse la présence. Sans doute dans le roman policier, qui est le territoire le plus fréquent de l’indice, cette évasion de la signifiance est-elle vite rabattue par la logique de dénouement, qui transforme l’indice en instrument de la déduction. Mais ce qui compte, c’est ce battement momentané de l’évasion, qui est comme une diction propre à l’objet, ou comme l’aura de sa singularité. Or ce que je propose, c’est que le régime de l’indice, de la latence de l’indice, soit généralisé, c’est que chaque objet, indépendamment de toute instrumentalisation narrative, puisse être considéré comme indice, comme écho : signe ou voix, non d’un dieu, mais écho embouti dans sa source annonçant silencieusement au monde ( et aux hommes qui s’y trouvent) qu’il y a monde et que la parution infinie ne se borne pas à être une simple accumulation mais qu’elle est, dans le plein sens des termes, et hors de toute guichetterie humaine, réception, livraison, délivrance. p.17

jean-christophe bailly
l’élargissement du poème
« Vers la sortie »
Christian Bourgois éditeur, an 2015

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Vacances


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E.T


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Prêter attention


« Je reviens », ce qu’il disait toujours, comme s’il était hautement possible qu’un jour, il ne revienne jamais. Il sorti de la salle d’un pas plus dansant qu’à l’ordinaire et s’échappa dans la rue. Il savait qu’il s’était immobilisé d’un coup, telle une vache d’Ordebec, qu’il avait perdu quelque cinq à six minutes de la conférence. Pourquoi, il ne pouvait pas le dire, et c’est ce qu’il cherchait en marchant au long des trottoirs. Il n’était pas inquiet de cette brutale absence, il en avait l’habitude. Il n’en savait rien pas la raison, mais il en connaissait la cause. Quelque chose avait traversé son esprit comme un trait d’arbalète, si vite qu’il n’avait pas été capable de le saisir. Mais qui avait suffi à le pétrifier. Comme lorsqu’il avait aperçu ce scintillement dans l’eau du port à Marseille, comme lorsqu’il avait vu cette affiche sur les murs de Paris, comme lorsque de cette insomnie dans le train Paris-Venise. Et l’image invisible qui avait passé avait drainé le champ aqueux de son cerveau, entraîné dans son sillage d’autres figures imperceptibles qui s’étaient accrochées les unes aux autres comme des aimants en chaîne. Il n’en voyait ni l’origine ni le terme, mais il revoyait Ordebec, et précisément une portière, celle de la vieille voiture de Blériot, ouverte, à laquelle il n’avait pas spécialement prêté attention. C’était ce qu’il avait dit à Lucio hier, il y avait une porte qui battait encore, une piqûre qu’il n’avait pas fini de gratter.
Il marcha lentement dans les rues, avec prudence, s’éloignant vers la Seine où ses pas le conduisaient toujours en cas de secousse. C’est en ces moments qu’Adamsberg, presque inaccessible à l’anxiété ou à toute émotion vive, se tendait comme une corde, serrant les poings, s’efforçant de saisir ce qu’il avait vu sans le voir, ou pensé sans le penser. Il n’y avait pas de méthode pour parvenir à dégager cette perle du monceau informe que lui présentaient ses pensées. Il savait seulement qu’il lui fallait faire vite, puisque tel était son esprit que tout y sombrait. Parfois il l’avait attrapée en demeurant totalement immobile, attendant que la fluette image remonte en vacillant à la surface, parfois en marchant, remuant le désordre de ses souvenirs, parfois en dormant, laissant agir les lois de la pesanteur, et il redoutait, s’il choisissait à l’avance une stratégie théorique, de manquer sa proie.
[…]
Adamsberg immobilisa ses gestes. La perle était là, brillante dans le creux du rocher. La porte qu’il n’avait pas refermée. Quinze minutes plus tard, il se leva tout doucement, afin de ne pas effaroucher ses sensations encore mal formées et non comprises, et rejoignit sa maison à pied. p.380-382

Fred Vargas
L’armée furieuse
Éditions Viviane Hamy, an 2011

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A cœur vaillant rien d’impossible

Jacques Cœur (vers 1395/1400, Bourges – 25 novembre 1456, Île de Chios) est un marchand français, négociant, banquier et armateur. Il fut le premier Français à établir et entretenir des relations commerciales suivies avec les pays du Levant. En 1439, Charles VII le nomme Grand Argentier du royaume de France1. Il se lance dans de nombreuses entreprises commerciales et industrielles, et amasse une fortune considérable qui lui permet d’aider Charles VII, à l’époque « le petit Roi de Bourges », à reconquérir son territoire occupé par les Anglais. Mais sa réussite éclatante l’amène à la disgrâce : en invoquant diverses accusations, ses rivaux et ses nombreux débiteurs, dont le roi, provoquent sa chute en 1451. Emprisonné puis banni en 1456, il meurt à Chios en Grèce (île près de la Turquie) lors d’une expédition contre les Turcs.

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Pas à pas

Dans le hall d’un hôtel assez lugubre de Grenade situé à la périphérie de la ville, Zerk et Mo éteignirent l’antique ordinateur qu’ils venaient de consulter et se dirigèrent d’un pas volontairement négligent vers les escaliers. On ne pense jamais à la manière dont on marche, sauf quand on se sent surveillé, par la police ou par l’amour. Et rien n’est plus difficile alors que d’en imiter le naturel perdu. p.270

Fred Vargas
L’armée furieuse
Éditions Viviane Hamy, an 2011

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Sensation


S’il y avait une chose que Danglard réprouvait plus que tout chez Adamsberg, c’était cette façon de considérer ses sensations comme des faits avérés. Adamsberg rétorquait que les sensations étaient des faits, des éléments matériels qui avaient autant de valeur qu’une analyse de laboratoire. Que le cerveau était le plus gigantesque des labos, parfaitement capable de sérier et d’analyser les données reçues, comme par exemple un regard, et d’en extraire des résultats quasi certains. Cette fausse logique insupportait Danglard. p.111

Fred Vargas
L’armée furieuse
Éditions Viviane Hamy, an 2011

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Décision


Le commissaire Adamsberg et l’ex-lieutenant Louis Veyrenc de Bilhc, issus de deux villages voisins des Pyrénées, avaient en commun une sorte de tranquillité détachée, assez déroutante. Elle pouvait présenter chez Adamsberg tous les signes d’une inattention et d’une indifférence choquantes. Chez Veyrenc, ce détachement générait des éloignements inexpliqués, une obstination opiniâtre, parfois massive et silencieuse, éventuellement ponctué de colères. « C’est la vieille montagne qui a fait cela », disait Adamsberg sans chercher d’autre justification. La vieille montagne ne peut pas cracher de graminées amusantes et folâtres comme le font les herbes mouvantes des grandes prairies.
On sort, dit Adamsberg en payant soudain leur déjeuner, la petite femme va s’en aller. Regarde, elle se décourage, l’hésitation la gagne.
– Moi aussi j’hésite dit Veyrenc en avalant son café d’un trait. Mais moi, tu ne m’aides pas.
– Non.
– Très bien. Ainsi va l’hésitant, de méandres en détours, /Seul et sans qu’une main vienne porter secours.
– On connait toujours sa décision bien avant de la prendre. Depuis le tout début en fait. C’est pour cela que les conseils ne servent à rien. Sauf à te répéter que tes versifications irritent le commandant Danglard. Il n’aime pas qu’on massacre l’art poétique. p.18-19

Fred Vargas
L’armée furieuse
Éditions Viviane Hamy, an 2011

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En Fleurs / Vive Voix / En live

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