Rendre l’histoire vivante

« Fabuler, raconter autrement, n’est pas rompre avec la « réalité » mais chercher à rendre perceptible, à faire penser et sentir des aspects de cette réalité qui usuellement, sont pris comme accessoires. »
Isabelle Stengers, La vierge et le Neutrino, p.169

Fabuler n’est pas fictionner. C’est extirper des rêves de quoi nourrir le réel.
[…]
Le signe ici fonctionne plutôt pour donner à ce qui pourrait s’avérer manquer de réalité, un énoncé très vague, une prédiction qui ressemble plus à une injonction qu’à une annonce, la densité dont elle a besoin pour se réaliser, c’est-à-dire pour avoir un effet de réalité. Ce signe ne connecte pas ; il ne symbolise même pas. Ce n’est pas son rôle. Son rôle est celui de détail (comme quand on ajoute des détails pour rendre l’histoire vivante, pour la charger de réalité), un détail efficace, c’est-à-dire qui effectue, qui « actualise ». Le signe, ici, est au service de l’oracle. Ce n’est pas à lui que revient la charge d’intriguer. p.180

Vinciane Despret
Au bonheur des morts
Les empêcheurs de penser en rond, an 2015

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Walk The Line

Kabreet-Momken-Bokra

Le laisser faire. Le laisser achever. Donner des vacances à la conscience. Quitter la fâcheuse habitude de tout faire par soi-même. L’important (dans l’ordre de la pensée), il faut au contraire toujours le laisser inachevé. Attendre son éclairage. Sacrifier l’homme premier qui nous fait vivre en mutilés. Faire revenir le daïmon. Rétablir les relations.
Henri Michaux, Connaissances par les gouffres, Gallimard, Paris, 1970. p.276, 277.

Il y a de la pensée ailleurs que dans nos têtes. Il y a un « ça pense » dans le monde des événements. Ce serait la première dimension des signes : ils traduisent une distribution différente des intentions et une mise au travail d’une pensée. De ce fait, ils mettent la pensée au travail.

C’est là une manière toute pragmatique de définir les signes, c’est-à-dire par leurs effets : ils sont inducteurs de perplexité. Ils sont à ce titre, de la famille des énigmes, peut-être même leurs plus proches parents. Ils maintiennent la pensée en éveil, une fois qu’ils ont fait signe. « Ça pense » irradie.

« L’énoncé « Carol était une araignée » nous enchevêtre tous, écrit Hagerty, dans une toile de significations. « Carol était une araignée » peut être compris comme un énoncé de fait. Ou comme une métaphore. Ou les deux. » Osciller, vaciller, amorces d’élan, à partir d’un point d’équilibre qui se crée dans le mouvement et qui vous tient. « Walk the line« , disent les anglais.

« Walk the line« , écrit-il [Jérémy Damian*], lorsque « l’enjeu porte sur le fait de tenir la crête entre deux mondes qui se rencontrent mal ou avec dégâts, celui du positivisme et celui de l’expérience sensible virant trop vite, à la demande, en envolées lyriques romantiques […]. « Walk the line, buddy« . Tiens la ligne, ne tombe pas. […] p.142-144

Vinciane Despret
Au bonheur des morts
Les empêcheurs de penser en rond, an 2015

* Elle m’a dit : « Je suis Alma… mais vous pouvez aussi m’appeler Zara. Mon nom est Alma Zara. » Elle m’a demandé si elle pouvait s’asseoir à ma table, j’ai accepté et je me suis présenté à mon tour : « Damian Stern. » p.470
Alain Fleischer
alma
zara

Editions Grasset Fasquelle, an 2015

PS : Est-ce que les rêves (ceux de la nuit) donnent aussi des vacances à la conscience ?

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Pensées — Pour passer à la suite

Danielle-Arbid

C’était la première fois depuis des années que le ciel ne pesait pas sur lui. p.149

Laissant la table ouverte de reliefs du repas derrière elle, elle entendait le bruit des assiettes qu’on débarrassait, elle s’avançait en direction de Cevdet Bey et pensait : « cet après-midi, nous boirons le thé dans les tasses à roses bleues ». p.158

Laissant tomber sa mâchoire inférieure mais sans ouvrir les lèvres, il bâilla avec plaisir, des larmes jaillirent de ses yeux. p.172

Il s’installa devant le poêle, se réchauffa et prit part à la conversation. p.183

En descendant l’escalier, il se sentait en pleine forme et très intelligent. p.213

Elle remarqua qu’elle clignait des yeux. p.223

En tendant l’oreille à ce qu’ils disaient, il comprit qu’il serait bientôt débarrassé de son ennui. p.231

Sans comprendre pourquoi elle avait envie de faire ça, elle ouvrit le placard, elle se trouva saine et joyeuse. « C’est si simple! » pensa-t-elle. p.238

Orhan Pamuk
Cevdet Bey et ses fils
Gallimard, an 2014

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« à vivre »

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… « l’oracle ne dit pas ce qui t’attend dans l’avenir. Il formule ce qui t’atteint, ou peut t’atteindre dans un «à vivre» « . Il n’annonce pas, il demande l’accord d’une attention, au sens d’accorder une disponibilité, un « être aux aguets » à l’événement. Il ne dit pas l’avenir, il en ouvre des possibles qui n’étaient pas perçues. p.111
Vinciane Despret
Au bonheur des morts
Les empêcheurs de penser en rond, an 2015

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Arrêt sur Images

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Au fond il y a

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Cet obscur objet du désir

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Entrée (maritime)

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Suck

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à Ouled Allal

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Isopolyphonie

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Desk suite

L'ecrivain Francais Roland Barthes chez lui. FRANCE - 20/02/1975/0901221443

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Matrice narrative

vie

oooC’est un rapport de forces qui fait tenir un événement, le désir d’être souvenu et le désir de se souvenir « tiennent » ensemble, il n’y a pas de précédence.

[…]

oooEn d’autres termes, l’exigence à laquelle Kwon soumet son enquête, c’est d’accepter que les questions n’appellent ni explication ni élucidation. Ce sont des énigmes, c’est-à-dire des débuts d’histoires qui mettent ceux qu’elles convoquent au travail sur un mode très particulier : qu’est-ce qu’on fait là ? A quel type d’épreuves est-on appelé et quel régime de vitalité rendra possible de se laisser saisir par elles ?
On se laisse conduire, comme le fait Kwon, à d’autres événements et à d’autres histoires, en fabulant qu’ils et elles vous attendaient. Et que l’énigme en était à la fois la clé et le guide.

oooOn se laisse instruire, en acceptant de se trouver au point de connexion, ou d’être le point de passage de deux ordres de réalité différents. Il n’y a ici, chez lui, nulle volonté d’interprétation. Il y a juste expérimentation des sens qui pourraient devenir possibles. Je dis des sens — non des significations  —, mais des tropismes, c’est-à-dire des affects qui vous aimantent, des forces qui vous traversent et vous dirigent. C’est une expérimentation, une mise à l’épreuve : qu’est-ce que je fais avec ceci ? Quel sens me sollicite ? Quel devenir j’offre à ceci ? Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de comprendre, dans le sens de « prendre avec ». Se laisser instruire. Faire d’une histoire une matrice narrative.

[…]

… Former des matrices narratives, c’est assumer que chaque histoire en engage d’autres (et qu’elle est responsable de ces modes d’engagement), et les engage au double sens du terme. Non seulement chaque histoire en crée de nouvelles et s’implique dans les suites qu’elle contribue à produire, mais chacun de ces récits ainsi créés modifie rétroactivement la portée de ceux qui les précèdent, leur donne des forces, leur offre de nouvelles significations.

vie2

oooJe devais apprendre à faire confiance. Le parcours d’obéissance aux personnes est devenu un parcours d’obéissance aux liens et aux œuvres. Les œuvres elles-mêmes devaient produire ces liens, et je devais les laisser me travailler, sans trop intervenir ; je devais les laisser se connecter entre elles, en me fiant à leur puissance d’articulation et de friction. Je devais me laisser travailler et instruire. Je devenais moi-même l’objet de l’expérimentation : me rendre disponible à ce que les œuvres allaient créer entre elles de liens, de questions, de connivences, d’êtres nouveaux et de réponses que je devais apprendre à accueillir. J’avais enfin trouvé le moyen de rompre avec les explications.

[…]

… Chaque événement devenait une puissance d’intention dans laquelle je me sentais capturée, appât pour des intentions que je faisais miennes. Sans doute est-ce bien plus souvent le cas que ce qu’on se l’imagine. Étrange inversion du vouloir, ne pas lâcher prise, en fait : donner prise. C’est tout différent.
oooMais ce que je découvrais également, c’est que ma propre démarche formait écho avec ce que j’interrogeais, sans que je l’aie prémédité. Me laisser instruire, me laisser « faire », accepter de déléguer mes actes à d’autres, acquiescer au fait de ne pas comprendre et me rendre disponible à ce que quelque chose advienne à mon insu, à ce que des liens se tissent sans que j’intervienne trop activement (ce qui aurait à coup sûr empêché ces liens), me rendre sensible à un « ça pense » à travers moi : c’était en quelque sorte me laisser traverser par les « manières d’être » qu’explorent les morts et les vivants ensemble.

[…]

oooEt enfin, garder précieusement, par le cours même de mon trajet, un mémento — souviens-toi — comme un talisman, un nœud dans un mouchoir qui n’est d’ailleurs pas le mien : tu ne sais pas où tu vas, garde en mémoire d’où tu viens. p.32-39

devant

Vinciane Despret
Au bonheur des morts
Éditions La Découverte, an 2015

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Pas cécité / Passé cité

encorel

images

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« Eric Rohmer est mort » (sic)


Merci Mathilde.

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