– Prenons-là toutes les quatre, chacune par un coin, et chantons quelque chose de triste.
– C’est facile à dire, Effi, mais quoi ?
– N’importe, il suffit d’avoir des rimes en eur. Eur est une syllabe triste. Et nous chanterons:
Pleurs, Pleurs,
Ramenez le bonheur.
Et tandis qu’Effi sur un ton solennel entonnait cette litanie, elles s’assirent toutes les quatre sur le ponton qui se mit à osciller, descendirent dans la barque qui y était amarrée et laissèrent glisser lentement dans l’étang le cornet alourdi d’une pierre.
– Hertha, voilà ton péché englouti, dit Effi. Cela me fait penser qu’autrefois de pauvres malheureuses ont été jetées ainsi d’une barque, pour cause d’infidélité naturellement.
– Pas ici tout de même.
– Non, dit Effi en riant, ce ne sont pas des choses qui arrivent ici. Mais à Constantinople, et, j’y songe, tu dois le savoir aussi bien que moi, car tu étais avec nous quand Holzapfel le racontait au cours de géographie.
– Oui, dit Hulda, il racontait toujours des choses comme ça. Mais on les oublie vite.
– Moi pas. Je me les rappelle. p.31
Théordor Fontane
Effi Briest (1894, juste avant le cinématographe)
L’imaginaire Gallimard, an 2013