Bien reçu. Merci pour la pensée.
J’ai retiré la main droite de dessous mon corps ; je me suis tourné et retourné dans mon lit et je me suis mis sur le dos ; c’était un peu désagréable ; je suis retombé dans la même position, l’effet de l’opium augmentait ; j’étais conscient de mourir et voulais le faire correctement. Mes sentiments s’étaient aggravés et amplifiés : mais je m’étonnais de ne pas dormir. C’était comme si toute mon existence sortait de mon corps d’une façon ravissante ; mon cœur battait lentement, je respirais doucement ; deux ou trois heures peut-être se sont écoulées. Entre temps quelqu’un a frappé à ma porte, j’ai compris que c’était mon voisin mais je n’ai pas répondu et je n’ai pas voulu bouger. J’ai ouvert les yeux et je les ai refermés ; j’ai entendu le bruit de sa porte ; il s’est lavé les mains et a sifflé ; j’ai entendu. J’essayais de m’occuper à des pensées agréables ; je me souvenais de l’an passée, le jour où j’étais assis dans le bateau ; on jouait de l’harmonica. Les vagues, les secousses du bateau, la jolie femme qui se tenait devant moi, j’étais plongé dans ces pensées ; c’est comme si j’avais eu des ailes et me baladais dans l’air. J’étais devenu d’une légèreté et d’une agilité inexprimables. C’était la même différence qu’entre la lumière naturelle et son reflet sous l’effet de l’opium ; c’était comme si on voyait la même lueur de derrière un lustre ou un prisme de cristal, comme si elle se décomposait en couleurs différentes. Dans cet état il vient des pensées simples et absurdes qui se transforment en une imagination enchanteresse et fascinante ; chaque pensée fugitive et futile prend une forme attirante et majestueuse ; s’il passe dans l’esprit un panorama ou un paysage, il s’agrandit énormément ; l’espace prend du volume ; l’écoulement du temps n’est pas sensible.
p.64-66
Sadeq Hedayat
Enterré vivant
José Corti an 1986