Enfermement voyageur. Immobile dans le wagon, voir glisser des choses immobiles. Qu’est-ce qui se passe ? Rien ne bouge au-dedans et au-dehors du train.
Immuable, le voyageur est casé, numéroté et contrôlé dans le damier du wagon, cette réalisation parfaite de l’utopie rationnelle. La surveillance et la nourriture y circulent de case en case : « Contrôle des billets » … « Sandwiches ? Bière ? Café ? … ». Seuls les W.C. ouvrent une fuite dans le système clos. C’est le fantasme des amoureux, l’issue des malades, l’escapade des enfants (« pipi ! »), – un coin de l’irrationnel, comme l’étaient les amours et les égouts dans les Utopies de jadis. Mis à part ce lapsus abandonné aux excès, tout est quadrillé. Ne voyage qu’une cellule rationalisée. Une bulle du pouvoir panoptique et classificateur, un module de l’enfermement qui rend possible la production d’un ordre, une insularité close et autonome, voilà ce qui peut traverser l’espace et se rendre indépendant des enracinements locaux.
Au-dedans, l’immobilité d’un ordre. Ici règnent le repos et le rêve. Il n’y a rien à faire, on est dans l’état de raison. Chaque chose y est à sa place comme dans la Philosophie du droit de Hegel. Chaque être est posé là comme un caractère d’imprimerie sur une page militairement rangée. Cet ordre, système organisationnel, quiétude d’une raison, est pour le wagon comme pour le texte la condition de leur circulation.
Dehors, une autre immobilité, celle des choses, régnantes montagnes, verdures étendues, villages arrêtés, colonnades de buildings, noires silhouettes urbaines dans le rose du soir, scintillements de lumières nocturnes d’une mer d’avant ou d’après nos histoires. Le train généralise la Melencolia de Dürer, expérience spéculative du monde : être hors de ces choses qui restent là, détachées, absolues,et qui nous quittent sans qu’elles y soient pour rien ; être privé d’elles, surpris de leur éphémère et tranquille étrangeté. Émerveillement dans l’abandonnement. Pourtant elles ne bougent pas. Elles n’ont de mouvement que celui que provoquent entre leurs masses les modifications de perspective moment après moment ; mutations en trompe-l’œil. Comme moi, elles ne changent pas de place, mais la vue seule défait et refait continuellement les rapports qu’entretiennent entre eux ces fixes. p.165
Michel de Certeau,
L’invention du quotidien, 1. arts de faire,
Folio an 1990
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