Sous l’arbre j’ai lu, je me suis souvenue

La vie est une symphonie de Mahler, elle ne revient jamais en arrière, ne retombe jamais sur ses pieds. Dans ce sentiment du temps qui est la définition de la mélancolie, la conscience de la finitude, pas de refuge, à part l’opium et l’oubli ; la thèse de Sarah peut se lire (j’y pense seulement maintenant) comme un catalogue de mélancoliques, le plus étrange des catalogues d’aventuriers de la mélancolie, de genres et pays différents Sadegh Hedayat, Annemarie Scharzenbach, Fernando Pessoa, pour ne citer que ses préférés — qui sont aussi ceux auxquels elle consacre le moins de pages, contraintes qu’elle est par la Science et l’Université à coller à son sujet, aux Visions de l’autre entre Orient et Occident. Je me demande si ce qu’elle a cherché, au cours de cette vie scientifique qui recouvre totalement la sienne, sa quête, n’était pas sa propre guérison — vaincre la bile noire par le voyage , d’abord, puis par le savoir, et par la mystique ensuite et sans doute moi aussi, moi aussi, si l’on considère que la musique est le temps raisonné, le temps circonscrit et transformé en sons, si je me débats aujourd’hui dans ces draps, il y a gros à parier que je suis moi aussi atteint de ce Haut Mal que la psychiatrie moderne, dégoûtée de l’art et de la philosophie, appelle, dépression structurelle, même si les médecins ne s’intéressent, dans mon cas, qu’aux aspects physiques de mes maux, sans doute tout à fait réels, mais dont j’aimerais tellement qu’ils soient imaginaires — je vais mourir, je vais mourir, voilà le message que je devrais envoyer à Sarah, respirons, respirons, allumons la lumière, ne nous laissons pas emporter sur cette pente-là. Je vais me débattre. p.50
Boussole
Mathias Enard
Acte Sud, an 2015

PS : Quant à Sadegh Hedayat, discussion hier avec I.P en plein travail.
Et puis coïncidence, à la page 9, La chouette aveugle est évoqué.
Le premier film que j’ai vu de lui (je crois), emmenée par F.M (je crois).
I.P était là, ça j’en suis certaine.

Ce contenu a été publié dans Coïncidence, Lecture. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.