La voix humaine de Cocteau, qui connut Proust et le dessina, ne viendra qu’en 1935, et interrogera ce que change à la dramaturgie de la voix qu’on puisse échanger sans qu’elle soit associée à la présence physique de celle ou de celui qui l’émet…
Dans La voix humaine, l’acteur est seul avec les spectateurs, l’acteur étant supposé entendre ce qui lui est dit par l’autre protagoniste tandis que les spectateurs auront à le reconstituer par la réponse, dissymétrie de la langue en partage qui fait naître un objet théâtral inédit [du cinéma me (re)vient – je préfère – je préfère aussi « Une voix » à « La voix » – décidément l’Italie – décidément la vive voix], que banalise aujourd’hui le moindre épisode de série télévisée.
C’est ce qui se joue dans la Recherche : « … de même que la parole humaine, changée en électricité dans le téléphone, se refait parole pour être entendue… »
Puis ce fameux passage sur les « Vierges Vigilantes » que sont les dames du téléphone, tout rempli de clichés et métaphores, puisqu’elles sont tour à tour les Danaïdes, les Anges gardiens, les Furies, les « ténèbres vertigineuses », et cet « invisible » dans lequel « sans cesse [elles] vident, remplissent, se transmettent les urnes des sons ». Bien sûr cela dit avec l’ironie du maître – Proust s’amuse -, quitte à la virtuosité vide : « et qui, au moment où nous murmurions une confidence à une amie, avec l’espoir que personne ne nous entendait, nous crient cruellement : – J’écoute ».
« Et aussitôt que notre appel a retenti, dans la nuit pleine d’apparitions sur laquelle nos oreilles s’ouvrent seules, un bruit léger – un bruit abstrait – celui de la distance supprimée – et la voix de l’être cher s’adresse à vous. »
Proust est une fiction
[6] il me semble que je n’aimerais pas avoir le téléphone à domicile
François Bon
Édition du seuil, an 2013
Echo avec d’autres mots entendus de vive voix/vécus/(re)lus aussi ce jour, par hasard ? décidément.